Une PME de l'agglomération nanceienne a mis au point, un concept innovant de désamiantage et découpe des navires.
« Quand j'ai annoncé que j'étais prêt à déconstruire le Clemenceau, tout le monde m'a pris pour un illuminé. » « L'illuminé » s'appelle Philippe Rovel. Il est le patron d'une petite entreprise spécialisée dans la conception de machines et équipements destinés à la sidérurgie. Depuis sa création il y a 6 ans, EMC Conception et sa douzaine de salariés se sont installés à Brabois dans la pépinière d'entreprises de Promotech « parce qu'il vaut mieux être à Nancy pour embaucher des ingénieurs qu'ailleurs en Lorraine. »
« La médiatisation du démantèlement du Clemenceau a fait germer une idée dans mon esprit. Utiliser le savoir-faire de l'entreprise - la découpe des ferrailles et de l'acier des rebuts d'industrie en amont des hauts-fourneaux - afin de développer des outils permettant de traiter les navires en fin dé vie Tout en respectant l'environnement et la protection des travailleurs. »
« Nous avons mis au point un procédé innovant de vitrification de l'amiante directement sur.son support, solution qui permet de neutraliser l'inhalation des fibres cancérigènes et de pouvoir découper ensuite sans danger. »
Lorsqu'elle est chauffée à plus de 800°, l'asbeste, roche fibreuse et friable, se transforme en une substance vitreuse inerte. « Le vitrificat est ensuite éliminé dans les fours électriques sur son support d'acier ou dans un four plasma s'il est dissocié de son support et ensaché automatiquement. ».
Créer une filière européenne
Dans l'esprit de ce Vosgien d'origine, il s'agit de créer une véritable filière, inexistante en Europe à ce jour. Aussitôt dit, aussitôt fait. Il se met sur les rangs et son entreprise répond à l'appel de candidatures du ministère de la Défense pour démanteler le « Clemenceau » devenu la coque « Q 790 » depuis son retour à Brest. « Nous nous sommes inscrits pour nous faire connaître, sachant que nous n'avons pas la taille pour rivaliser avec les ténors de l'environnement. Nous souhaitons établir la connexion pour pouvoir pro¬poser notre technologie, unique à notre connaissance et protégée par un brevet, mobile et radiocommandée. » C'est-à-dire capable de désamianter et découper l'ancien porte-avion en 10 mois et une cinquantaine de personnes quand il en faut une centaine pendant deux ans avec les techniques actuelles manuelles.
Réponse assurée à la mi-février quand seront connus les trois à cinq industriels retenus.
Parallèlement, la petite PME a obtenu un co-financement d'Oseo-Anvar et du conseil régional pour réaliser les études de recherche et développement de l'outil de désamiantage. 50.000 euros pour l'étude technique, suivis d'une subvention à venir pour la mise au point du prototype.
« Nous avons une avance technologique grâce à nos installations mécanisées d'oxydécoupage qui associent aussi le traitement des fumées et du bruit. » Celles-ci sont utilisées dans la sidérurgie internationale sur les chantiers de Mittal Steel, Arcelor, Severstal ou Ascométal par l'intermédiaire de prestataires de services.
L'idée, aujourd'hui est de mettre le recyclage de l'acier au service de celui des navires en proposant un outil rentable et sécurisé par la mécanisation complète de toutes les étapes du processus.
Car le marché est là : 700 bateaux sont mis au rebut tous les ans dans le monde, un chiffre qui devrait doubler en 2008 avec l'interdiction des pétroliers à simple coque. Principalement localisés en Asie, les chantiers de déconstruction sont de grands consommateurs de main-d'œuvre exposée aux dangers du matériau aujourd'hui interdit. La coque « Q 790 » ne recèle pas moins de 17 km de tuyauterie calorifugée à l'asbeste et 44.000 m2 de peinture amiantée.
Sans compter les 26.0000 tonnes d'acier à découper et recycler dans la sidérurgie. Reclus dans le port de Brest, le vieux fleuron de la marine de guerre devrait être fixé sur son sort à la fin de cette année quand sera connu le nom de l'entreprise ou du consortium choisi. Les travaux de démantèlement sont prévus sur 36 mois à partir du début de 2008.
La Lorraine sur le pont
La problématique du démantèlement des navires n'est pas une spécificité française. Les USA, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas sont dans une situation identique. Deux possibilités existent actuellement pour leur destruction : l'immersion, très encadrée par les conventions internationales, ou le stockage dans un cimetière de navires en attendant le démantèlement.
Actuellement, l'Asie concentre 90 % de l'activité mon¬diale des chantiers de déconstruction. En Inde -chantier de Alang où devait mourir le « Clem », en Chine et au Pakistan et en Turquie pour l'Europe.
En France, la réussite de l'implantation d'une nouvelle filière de déconstruction des navires passe par la capacité des intervenants à répondre aux contraintes de protection des opérateurs et de l'environnement et à celles de rentabilité et productivité. La Lorraine est sur le pontpour cingler dans cette direction.
(Est Républicain du 28 janvier 2007)